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Association Cévenole Culturelle et Citoyenne
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Association Cévenole Culturelle et Citoyenne
22 décembre 2017

Les grèves des années 1880 dans les mines cévenoles

Les grèves des années 1880

dans les houillères du bassin cévenol

 

A la fin du XIX° siècle, en Cévennes, comme dans le nord de la France, la situation faite aux mineurs provoque d'importantes grèves qui sont violemment réprimées, avec le déploiement de la troupe, le licenciement des grévistes et des condamnations pénales à l'encontre des syndicalistes : grève des mineurs de La Grand-Combe en décembre 1881, grève des mineurs et des ouvriers des forges de Bessèges en février 1882, grève des mineurs de Bessèges en mars 1887 et en mai 1890, grève des mineurs de La Grand Combe en 1897.

Ces luttes des ouvriers mineurs et métallurgistes du bassin industriel cévenol ont un grand écho dans le pays. Les députés de la gauche radicale viennent sur place rencontrer les travailleurs, et les journaux républicains rendent compte de leurs combats pour un salaire décent et la journée de travail de huit heures.

En février 1882, le journal conservateur parisien Le Gaulois, organe de la grande bourgeoisie et de l'aristocratie financière, se félicite des mesures prises pour mettre fin à la grève de Bessèges, en publiant la dépêche de son correspondant :

(…) Des troubles sont à craindre à Bessèges, qui est actuellement le refuge des grévistes congédiés de Molières et de la Grand'Combe. On redoute dans tout le bassin une grève générale. Un bataillon du 55e de ligne est parti d'Alais pour Bessèges avec la gendarmerie à cheval, et 300 hommes du 141e de ligne venant d'Avignon, qui se sont embarqués ce matin, à cinq heures, par la gare de Nîmes. Cent dix dragons arrivent à l'instant de Tarascon et repartent immédiatement avec leurs officiers pour Bessèges par un train spécial ; cent vingt chevaux avec leur matériel les accompagnent. On attend aussi six brigades de gendarmerie. (...)

Le Gaulois, 25 février 1882

 

A l'opposé, le quotidien républicain Le Réveil Lyonnais affiche, dans son édition du 28 février 1882, son soutien aux mineurs de Bessèges.Son rédacteur en chef, Frédéric COURNET y écrit :

(…) Mais que veut dire ce défilé de soldats du côté de Molières et de Bessèges ? Quelle politique criminelle se cache sous cette dépêche ; « l'autorité s'est enfin décidée, hier soir à prendre des mesures énergiques. Une réunion de cinq à six cents grévistes qui s'était formée en dehors de la ville, a été dispersée par la troupe. » (…)Le gouvernement, qui se prépare à quelque horrible coup de Jarnac contre les malheureux grévistes de Bessèges, prend ses précautions. Il les fait jésuitiquement calomnier, par avance, au moyen du télégraphe. « On fait aujourd'hui la paie aux ouvriers des Mines de Roche-Sadoule. Il est à craindre qu'un grand nombre d'entre-eux restent dans les cabarets où ils seront très exposés aux sollicitations des grévistes.» Comme ce « il est à craindre » vous a un certain parfum de sacristie. C'est, ainsi que Bazile s'exprime. En lisant cette dépêche on sent que la Compagnie s'est demandé si elle ferait la paie à ses ouvriers, et si il n'était pas préférable pour elle de les laisser mourir de faim plutôt que de leur fournir l'occasion de boire.

Il ressort évidemment de cette dépêche que si les mineurs de Roche-Sadoule ne retournent pas au travail, les grévistes seront accusés d'avoir attenté, par leurs manœuvres, à la « liberté du travail » et traités avec la dernière rigueur.

Ceci nous explique pourquoi nos jésuites du ministère se sont décidés à prendre d'énergiques mesures.

Frédéric COURNET

En 1886, la compagnie des mines de Bessèges connaît des difficultés financières. Elle décide d'en reporter la charge sur les ouvriers en décalant de deux mois le versement de leurs salaires. Pour s'opposer à cette mesure, les mineurs se mettent en grève en mars 1887. Le journal radical La Tribune (de Lyon), dans un virulent article de son édition du 9 mars 1887, prend le parti des salariés et appelle le gouvernement à les soutenir plutôt que de les réprimer en envoyant la troupe :

La Compagnie des mines de Bessèges s'est mise en grève. Vous lirez dans les journaux que c'est le contraire et que ce sont les ouvriers mineurs qui se sont mis en grève contre la Compagnie. Ce sont les journaux qui se trompent, et, si bizarre que la nouvelle paraisse, elle est parfaitement authentique, je vous prie de n'en pas douter. Il est certain que les ouvriers ont refusé depuis quelques jours le travail à la Compagnie, mais il est non moins certain que la Compagnie .refuse depuis la fin de l'année 1886 de payer les ouvriers. Elle a même fait afficher cet avis étrange : « La paie de janvier sera terminée le 26 mars courant ; celle de février, le 16 avril ; celle de mars, le 7 mai ; celle de mai, le 25 juin. » Le seul détail qu'elle ait oublié, c'est de se demander comment les ouvriers feraient pour vivre et pour faire vivre leurs familles durant les mois pendant lesquels ils ne toucheraient pas un sou.

Cette compagnie, qui se met en grève par le refus de salaire à des travailleurs, qu'elle réduit à mourir de faim après avoir exploité leur main d'œuvre, me paraît douée d'une prétention qui dépasse tout ce que permet la législation baroque d'où elle est sortie. Je ne sais pas si le gouvernement s'est préoccupé de son cas, mais il est urgent qu'il l'examine et qu'il avise. Quand des ouvriers qu'on représente comme libres de régler l'offre de leur travail et de se coaliser pour faire valoir leurs demandes, se mettent en grève contre leurs patrons, ils reçoivent immédiatement la visite des gendarmes. S'ils font mine de se grouper et de tenir en suspicion ceux d'entre eux qui ne s'associent pas à leur action, ils voient apparaître des baïonnettes et ne peuvent discuter leurs intérêts, que sous l'œil de la police, sous la menace du sabre, entourés de faisceaux de fusils Gras. (…)

C'est assez que le travail de l'ouvrier mineur soit rémunéré par une rétribution souvent insuffisante ; c'est assez qu'il expose le prolétaire aux plus terribles hasards et aux plus douloureuses catastrophes ; c'est assez qu'il soit l'enjeu des spéculations d'une oligarchie terrienne et qu'il ait échafaudé quelques-unes des plus grandes fortunes de France ; c'est assez que, dans toutes les occasions, l'aristocratie capitaliste, représentée par l'administration des Compagnies, ait eu avec elle toutes les forces gouvernementales, la police, la magistrature, la gendarmerie, l'armée, voire le parlement ; il est temps que, les ouvriers, auxquels le plus rude labeur impayé ne fournit plus les moyens de vivre, soient secondés dans leurs légitimes revendications contre les patrons qui leur laissent; la ressource de la mendicité et du vagabondage en échange de l'enrichissement qu'ils ont acquis à leurs dépens.

La Tribune

Durement réprimées, les grèves des années 1880 se soldent par de cuisants échecs pour les ouvriers-mineurs. Des centaines d'entre eux sont congédiés. Ce n'est qu'au début du XX° siècle, que le mouvement syndical obtiendra ses premières victoires contre les houillères du bassin cévenol.

Quant à la répression des grèves par la force armée, elle se poursuivra au XX° siècle et même après la nationalisation des houillères. On peut en trouver un émouvant (bien que très ironique) récit dans le roman de Marcel ALLEMANN, Les Prouesses extraordinaires du Grand Zapata (Gallimard. 1954) qui décrit la vie des mineurs dans une cité minière « rebaptisée » Mas-Coco-la-Borgne.

© Bernard COLLONGES / Septembre 2015

 

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