Deux monuments de La Grand-Combe
… et la satire qu'en fit Marcel Allemann.

En 1875, décédait Pierre-Jules CALLON, ingénieur-conseil des mines de la Grand-Combe et ancien directeur de ces mines. Le conseil d'administration de la Compagnie des mines décida aussitôt de faire ériger un monument à sa mémoire. Ce sera un monument en forme de pyramide, dressé sur l'une des principales places de la ville, la place Bouzac.

En 1879, décédait François BEAU, administrateur et ancien directeur des mines de La Grand-Combe, maire de la commune de 1850 à 1863. Le conseil d'administration décida aussitôt de lui faire édifier une statue. Ce sera un buste, placé à côté de la pyramide de la place Bouzac.

On doit à Louis Christian Émile GRAFFIN ces initiatives ''édificatrices'' visant à affirmer la prédominance de la Compagnie des mines dans la cité. Directeur des Mines de La Grand-Combe et maire de la commune, GRAFFIN présidait alors aux destinées du conseil d'administration et du conseil municipal, majoritairement composé de cadres de la Compagnie.

Quelques années plus tard, les ouvriers-mineurs se sont organisés face à la toute-puissance de la Compagnie. Les relations sont devenues conflictuelles et une première grande grève, durement réprimée, a lieu en décembre 1881. En janvier 1885, les monuments érigés à la gloire des anciens directeurs des mines, sont vandalisés. Le quotidien catholique La Croix s'en fait l'écho dans son édition du 30 janvier 1885.

À La Grand'Combe (Gard), des individus, jusqu'à présent demeurés inconnus, ont démoli à coups de marteau le buste de M. Beau, ancien directeur de la Compagnie des mines de La Grand'Combe, et dégradé celui de M. Callon, ancien fondateur de cette Compagnie. Ces deux bustes étaient placés sur l'une des principales places de la commune de La Grand'Combe. Les autorités judiciaires ont ouvert une enquête sur les lieux.

La Croix (30 Janvier 1885)

Sans doute est-il utile de préciser, pour situer le contexte de ces dégradations, que lorsqu'ils dirigeaient les mines de La Grand-Combe, CALLON et BEAU se distinguèrent par leur extrême fermeté à l'encontre des mineurs, n'hésitant pas à faire appel à la troupe pour briser les mouvements de contestation naissants. GRAFFIN fit de même lors de la grève de décembre 1881 et, sans états d'âme, réduisit à la misère près de deux cents ouvriers-mineurs qu'il congédia pour fait de grève.

Au siècle suivant, le maire ''socialisant'' des années 1950 fut-il tenté de reprendre à son compte la pratique de la Compagnie de faire ériger des monuments à la gloire de ses héros ? Toujours est-il que cette ''manie édificatrice'' se retrouve, curieusement transposée, sous une forme très ironique, dans le roman de Marcel ALLEMANN, Les Prouesses extraordinaires du Grand Zapata, paru aux éditions Gallimard en 1954. Il y est question d'un monument érigé sur la place Jean Jaurès, ancienne place Bouzac. L'action est censée se dérouler au début des années 1950 (après la nationalisation des mines) quand Germain SOUSTELLE, sarcastiquement désigné sous le nom de Vespasien BOCAHU, est maire¹ de La Grand-Combe, rebaptisée Mas-Coco-la-Borgne.

M. Vespasien Bocahu, de son état cantinier de la Compagnie des Mines de Mas-Coco-la-Borgne, fut élu maire de la cité (…). Dès sa venue au pouvoir, afin d'effacer la mauvaise impression causée à ses électeurs de gauche par le coup de pouce de la droite, il voulut dresser un ex-voto témoignant de la constance de ses idées. Il proposa d'ériger une statue célébrant un des maîtres du socialisme. Les conseillers trouvèrent l'idée originale et propre à satisfaire la foule, à condition toutefois que le maître en question fût mort et enterré et que les frais soient couverts par une souscription publique. On se mit d'accord sur Jaurès et, pour être fidèle à sa mémoire, on pressentit pour l'inauguration un enfant du pays fidèle à l'idéal révolutionnaire : le Député Bardapluche qui, dédaigneux des petites querelles métropolitaines, s'occupait à faire fructifier en Afrique noire les idées généreuses d'un socialisme tropical. Mais, quand tout fut décidé, un télégramme vint annoncer la mort du gouverneur trahi par sa vésicule biliaire. Mais M. Bocahu tenait dur comme pierre à son idéal et comme à cette époque il avait quelques difficultés du côté des Écoles Libres, il proposa que mort pour mort on élevât la statue à la mémoire de M. le Gouverneur Bardapluche². Quant à l'inauguration, il avança qu'elle pourrait fort bien, vu la largesse d'idées du gouverneur, être l'œuvre de M. l'Abbé piémontais Lulio Mangerestes, confesseur de M. Lespinache³, lequel d'ailleurs verrait d'un bon œil cet hommage indirect à sa personne. Hélas, trois fois hélas, Dieu rappela à lui l'excellent confesseur, victime du surmenage. Les conseillers de droite triomphaient, à la séance suivante du conseil municipal, ils proposèrent que, vu le précédent, la statue soit taillée à l'effigie de l'inaugurateur défunt et en compensation ils proposèrent que M. Bocahu, émanation de la commune et ami personnel du confesseur, prononçât le discours d'usage. (…) M. le maire s'inclina dignement devant le triomphe de la réaction, mais, étrange obstination du sort, à quinze jours de l'inauguration il prit froid et dut s'aliter. On le crut mort, le vieux coquin en profita pour réclamer le privilège d'être statufié car il tenait toujours dur comme pierre à son idéal auquel il se trouvait de plus en plus ressemblant. On mit cette dernière volonté sur le compte de l'agonie, les conseillers votèrent le projet qu'en grande pompe on lui apporta à signer. Force coussins sous le dos il apposa un paraphe tremblant puis il eut encore la force de dire : « Je me sens devenir froid comme la pierre », et il guérit. Trois mois après, il inaugurait sa statue.

(Marcel Allemann Les prouesses extraordinaires du Grand Zapata. 1954)

A l'image de son personnage, le Grand Zapata, qui disparut mystérieusement de Mas-Coco-la-Borgne au lendemain d'un coup d'éclat contre la direction des mines, l'auteur Marcel ALLEMANN a discrètement quitté le monde des lettres sans laisser d'autre trace que son ouvrage. Quant à son roman Les Prouesses extraordinaires du Grand Zapata, jamais réédité depuis 1954, il est devenu quasiment introuvable. S'il figure au catalogue de la médiathèque d'Alès, il n'est pas recensé parmi les ouvrages de celle de La Grand-Combe. Le Grand Zapata semble avoir déserté la ville de ses exploits.... Mais ce n'est peut-être qu'une des ruses dont il est coutumier. Ne désespérons pas de voir revenir ce « joyeux compagnon, pourvoyeur de paradis », « mineur entre les mineurs », toujours fidèle à sa mission de mettre à bas le Grand Ordre Établi.

Car, ainsi que l'auteur l'annonce dans la dédicace du livre : « Vous qui me croirez, réjouissez-vous, le Grand Zapata et toujours vivant. Et vous autres sceptiques et farluquets, prenez-y garde, le Grand Zapata n'est pas prêt de mourir. »

Bernard COLLONGES. 2015

1 En 1947, Germain Soustelle, membre de la SFIO, s'allie au MRP contre le maire communiste de la Libération, Roger Rivière.

2 Marcel Allemann associe à la gloire de Vespasien Bocahu, le « Gouverneur général Bardapluche, député ». Il s'agit en fait d'une charge satirique contre Paul Léon BECHARD, député SFIO du Gard, maire d'Alès, qui fut Gouverneur général de l'Afrique Occidentale Française de 1948 à 1951.

3 Lespinache : nom que Marcel Allemann donne au directeur des mines de l'époque, qu'il surnomme également « le Bohuteux ».

À propos des mines de La Grand'Combe...

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