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Association Cévenole Culturelle et Citoyenne
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Association Cévenole Culturelle et Citoyenne
21 janvier 2018

Les concessions minières aux XVIII° et XIX° siècles en Cévennes

 

I/ Les prémices de l'exploitation minière

Dans la seconde moitié du 18ème siècle, se met en place, une nouvelle organisation productive qui connaîtra un développement considérable après la Révolution française et entraînera un bouleversement de l'économie et des rapports sociaux au 19ème siècle : la concession minière.

Depuis le 16ème siècle, des mines de « terre noire » étaient exploitées dans la « seigneurie de Portes » (Le Pradel, Portes, Robiac, La Vernarède, etc.) mais il s'agissait alors d'une activité artisanale modeste, ayant une influence marginale dans l'économie locale. Au 18ème siècle, l'émergence de nouveaux besoins (pour les fours à chaux, les manufactures, etc.) incite à accroître la production de charbon.

En 1744, Louis XV impose l'obligation d'obtenir une concession pour exploiter les mines. En 1773, un recensement nominatif des exploitants mentionne soixante-dix propriétaires de mines de « charbon de terre » dans le diocèse d'Uzès1. Dans la paroisse de Portes, treize mines sont exploitées. Les principales appartiennent à Louis François Joseph de BOURBON, prince de Conti. Une autre, qualifiée de « considérable », est la propriété de Jean Antoine SOUSTELLE, avocat, seigneur du Chambon. Pierre DUMAZER et Louis DAUTUN figurent parmi les propriétaires des mines de moindre importance. On recense également dix mines dans la paroisse de Robiac et trois dans celle de Sénéchas. Par ailleurs, le marquis de CASTRIES, comte d'Alès, possède d'importantes mines dans le vallon de La Grand Combe.

En 1774, le sieur François Pierre de TUBEUF, un gentilhomme originaire de Normandie, obtient du roi une concession exclusive pour l'exploitation des mines de charbon de terre sur un territoire extrêmement large qui s'étend d'Anduze à Villefort et jusqu'à la vallée du Rhône (plus de trois mille kilomètres carrés). Cette concession est consentie pour une période de trente ans, en contrepartie d'une rente annuelle de huit cents Livres destinée à l'entretien de l'École royale des mines2. Dans un premier temps, TUBEUF, sans doute conscient des oppositions que l'ampleur de sa concession ne manquera pas de susciter, se contente d'ouvrir deux nouvelles mines à proximité d'Alès. Mais, bientôt, gêné par l'extension des mines de ses concurrents sur des terrains inclus dans le territoire de sa concession, il demande l'application de la clause d'exclusivité qui lui a été accordée. Deux jugements, rendus en 1777, lui donnent raison et font interdiction aux autres charbonniers d'ouvrir de nouvelles mines sur l'aire de la concession du sieur TUBEUF. Les tensions se font alors plus vives avec les exploitants, que soutiennent, en sous-main, les aristocrates propriétaires des mines les plus importantes. Tout en s'opposant fermement aux prétentions des quarante-neuf particuliers coalisés contre lui, TUBEUF tente de composer avec les aristocrates en renonçant, à leur profit, à une partie des droits que lui confère sa concession. Ainsi; en 1782, il abandonne au marquis de CASTRIES l'exploitation des mines du Mas Dieu. Mais le marquis, devenu maréchal, ne s'en contente pas et engage un nouveau procès au terme duquel il obtient, en 1784, de reprendre les mines de Trouillas (La Grand Combe) que TUBEUF exploitait. La même année, un second arrêt accorde à « Monsieur, frère du roi » l'exclusivité de l'exploitation des mines du vicomté de Portes. Ces deux jugements portent un coup sévère à l'entreprise de TUBEUF sans pour autant interrompre le fort développement de l'exploitation minière sur les sites en question. La Révolution française met un terme aux conflits d'intérêts entre les puissants exploitants puisque tous émigrent en 1792. Leurs possessions deviennent alors celles de la Nation.

 

II/ Les nouvelles concessions minières

Une loi du 21 avril 1810 réorganise les concessions minières qui deviennent des propriétés perpétuelles (et non plus à durée déterminée) transmissibles comme les autres biens. Émilien DUMAS considérera, en 1877, que cette loi, qui « vint donner par ses dispositions généreuses, des encouragements aux exploitants » « restera une des gloires de l'Empire ».3

Cette loi contribua effectivement au développement des sociétés houillères dans lesquelles l'aristocratie financière parisienne trouva intérêt à investir ses capitaux. Elle n'incita pas, pour autant, les exploitants à améliorer les conditions d'exploitation des mines. Les conditions de travail et de sécurité des mineurs demeurèrent effroyables, ainsi que l'attestent les nombreuses « catastrophes » qui coûtèrent la vie à des centaines de mineurs au cours du 19ème siècle. (Voir notamment la « catastrophe de la mine de Lalle » d'octobre 1861, dans laquelle 106 mineurs périrent noyés, dont cinq « manœuvres » âgés de douze à quinze ans.)

L'apport de capitaux de l'aristocratie financière s'accompagne d'une concentration des sociétés minières par l'acquisition des petites et moyennes concessions et leur regroupement dans des sociétés par actions. Ainsi, en 1825, est constituée la Société civile d'exploration et d'exploitation des mines et houillères d'Alais (SCEM), à l'initiative du Maréchal SOULT4, de deux banquiers parisiens, du baron de Croussac et du Vicomte de La Rochefoucault, tous grands propriétaires, actionnaires de banques d'affaires et députés ou sénateurs.5 La SCEM acquiert les mines de fer de Trépaloup et les mines de charbon de Trélys puis obtient les concessions de Portes et Comberonde qui s'ajoutent aux houillères de Rochebelle.

L'exploitation maximale des houillères cévenoles nécessitait la réalisation de voies de communication permettant de relier de façon sûre et rapide les mines aux centres urbains. En 1830, le maréchal SOULT, également actionnaire du canal de Beaucaire, confie à Paulin TALABOT, jeune polytechnicien, le soin de réaliser une jonction fiable entre le bassin d'Alès et Beaucaire. TALABOT préconise la solution de la voie ferrée et il en obtient la concession en 1833. Le projet qu'il soumet est validé par les pouvoirs publics en 1835. Pour en assurer la réalisation, une grande société au capital de seize millions, la Compagnie des mines de La Grand Combe et des chemins de fer du Gard est constituée, en 1836, avec de gros entrepreneurs marseillais, la banque Rothschild et une contribution de l'État de six millions (en partie remboursable en charbon).6 Le chemin de fer de Beaucaire à Nîmes est achevé en 1839 et la jonction avec Alès et La Grand Combe en 1842. Une ligne reliant Alès à Bessèges (via St Ambroix) est réalisée en 1857 par le biais d'une nouvelle concession attribuée à TALABOT.

À partir des parts restantes de la société des mines de Portes et Sénéchas7, une nouvelle société est créée en 1849 à l'initiative de l'ingénieur Nicolas DUDOT et de Louis Nicolas WERBROUCK8. Cette société au capital de deux millions de francs est cédée cinq ans plus tard, avec une plus-value de 25%, au financier parisien Jules MIRES. Placée sous la direction de l'ingénieur Henri REYDELET de CHAVAGNAC, cette compagnie développera de façon considérable l'activité des mines de Portes et de Sénéchas avec la réalisation d'ouvrages d'art (notamment les « plans inclinés » de La Vernarède) qui facilitera l'évacuation du charbon sur Alès et en diminuera très sensiblement le coût.

La constitution de ces grandes compagnies minières et ferroviaires sous la monarchie de Juillet (1830-1848) offre une bonne illustration de l'analyse que Karl MARX fit de ce régime politique, qu'il décrivit comme étant « une société par actions pour l'exploitation de la richesse nationale » dont Louis-Philippe était le directeur et dont les dividendes étaient partagés entre les membres les plus influents de sa clientèle.9

Les nouvelles infrastructures développées par les compagnies minières permettent un accroissement considérable de l'activité des houillères. La production du bassin cévenol (Alès/La Grand-Combe/Bessèges) est multipliée par dix en quelques années, passant de 30.000 tonnes de charbon en 1830, à 340.000 tonnes en 1847. Elle dépasse le million de tonnes en 1870.

© Bernard COLLONGES 2015

1 Cité par Émilien DUMAS dans « Statistique géologique, minéralogique, métallurgique et paléontologique du département du Gard ». 1877. (document A.G.A.R. 2003)

2 Voir Émilien DUMAS, op. cit. et Michel WIENIN, La Grand-Combe. Le charbon et le chemin de fer. (conférence donnée en décembre 2007)

3 Émilien DUMAS, op. cit. 1877

4 Jean-de-Dieu SOULT (1769~1851), maréchal d'Empire, duc de Dalmatie, enrichi dans les guerres napoléoniennes, il sera ministre et Président du Conseil dans les gouvernements de Louis-Philippe. Il organisa en 1831 et 1834 la violente répression des insurrections des canuts lyonnais.

5 Michel WIENIN, op. cit. 2007

6 Archives de la Compagnie, déposées aux Archives nationales et Michel WIENIN, op. cit.

7 Parts détenues par les sieurs André D'AUTUN, Jean Placide DUMAS, François DUMAZER et François Robert DEVEZE, représentant 14 vingt-quatrièmes de la société initiale.

8 Homme d'affaires d'Anvers, ancien colonel de la Garde Civique belge.

9 Karl MARX, Les luttes des classes en France. 1850

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